Calée à l’arrière d’une grosse limousine allemande mise à sa disposition spécialement pour la conduire à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, Inès est comme tétanisée. Jamais, elle n’aurait imaginé vivre un jour pareille situation et en a presque honte. Ses voisins ont dû sûrement la voir partir, remarquer le chauffeur s’occupant de ses bagages puis lui ouvrir la portière en l’invitant à s’installer d’un air compassé : un cérémonial pour le moins insolite au milieu d’une cité HLM !
Préoccupée par la suite de son voyage devant la mener à New York, elle ne fait guère attention au trajet. Le chauffeur sourit sans arrêt. Il a reconnu sa passagère, mais, intimidé, n’ose pas lui adresser la parole.
Une fois parvenue à destination, elle est accueillie par l’hôtesse mise à son service exclusif. Le décor du salon « VIP » sobre, quasi minimaliste, lui semble cependant presque familier. Elle retrouve le standard du luxe décliné aussi dans la plupart des hôtels internationaux, avec sa décoration consensuelle faite de fleurs et de palmes en acier poli placées dans d’énormes vasques en grès de couleur neutre et des tableaux cumulant l’exploit d’être figuratifs sans rien représenter mais certainement faciles à nettoyer. Seul un panneau lumineux se métamorphosant en permanence retient un peu son attention. Restée seule, Inès est nerveuse, mal à l’aise dans ce lieu impersonnel réservé aux clients de première classe. Elle s’est mise le plus possible à l’écart des autres passagers, pourtant peu nombreux, devant la grande baie au travers de laquelle on aperçoit deux avions arrimés par l’avant aux couloirs les reliant à l’aéroport. Pour se distraire, elle s’efforce de distinguer lequel sera « son » avion. La vitre est martelée par les gouttes d’eau d’une pluie d’automne incessante. Elles forment d’étroites petites rigoles venant en grossir une autre avant de disparaître. Elle les observe et sourit légèrement. Elle se souvient, gamine, elle en aurait profité pour tracer avec son doigt des visages de bonshommes tour à tour réjouis ou tristes, avec, pour le gai luron des sourcils partant vers le haut et une bouche en forme de « u » et inversement, en « n » pour le maussade. C’était hier et pourtant cela lui semble déjà si lointain !
Fille d’émigrés espagnols, elle a été imprégnée, dès son plus jeune âge, du même conseil sans cesse répété : tout faire pour se forger une place dans la société française...